L’art de la critique, et vice versa

Etats d’âme

Une fois n’est pas coutume, voici un bon petit coup de gueule pour bien démarrer la semaine.

Vous avez peut-être vu Vice Versa, le dernier né des studios Pixar, qui personnifie les émotions d’une petite fille et donne corps à plusieurs concepts abstraits, tels que les souvenirs ou l’imagination, afin de raconter le passage de l’enfance vers l’âge adulte. En ce qui me concerne je trouve qu’il s’agit d’un des meilleurs Pixar, un film intelligent, tendre, amusant et émouvant, qui parlera autant (voire plus) aux « grands enfants » qu’aux petits, démontrant une fois de plus que le film d’animation est un genre à part entière.

Une évidence ?

Hélas, cette évidence n’en est pas une pour tout le monde, pas pour François Aubel en tout cas, rédacteur en chef culturel au journal Le Figaro (pas le Gorafi, hein) :

 

 

De la grande critique, un certain style, je dois en convenir, et bien que je ne partage pas cette analyse nuancée, je ne peux que m’incliner face à une argumentation aussi solide. Je ne remets pas en question le droit de M. Aubel à ne pas aimer ce film, que ce soit clair.

Mais un petit truc me titille : enthousiasme béat. Quand je lis ça, j’ai un peu l’impression qu’on remet en question mon esprit critique, qu’on me refuse le droit à apprécier ce film sans passer pour un mouton. Et de la part du rédac’ chef culturel d’un grand journal, ça me contrarie un peu.

D’autant plus que, sans doute dans la crainte de ne pas être assez clair, M. Aubel va franchement mettre ses gros sabots dans le plat avec ce tweet lapidaire :

 

 

Traduction : les films d’animation c’est pour les enfants.

FACEPALM

Rédacteur en chef culturel du Figaro. REDACTEUR EN CHEF CULTUREL, QUOI.

Et pour bien marquer le coup, paf ! Le couperet tombe : M. Rabat-Joie 1er, qui a fait sociologie seconde langue, nous livre son analyse inspirée : Infantilisation de notre société. Logique : si des adultes vont voir un film pour enfants c’est qu’ils n’ont pas grandi, les cons ! Décadence, perte des valeurs, c’était mieux avant, et tout ça !

Oui, je suis en colère. En colère qu’un soi-disant spécialiste culturel puisse ENCORE CROIRE que les films d’animation sont un passe-temps pour occuper les gamins le mercredi après-midi, en colère qu’il nie le droit à chacun de dépasser cette frontière qui n’a jamais eu lieu d’être, et en colère qu’au lieu de tenter de comprendre ce phénomène, il en détourne le sens pour alimenter ses théories réactionnaires.

Monsieur Aubel, en lançant négligemment ces quelques caractères méprisants sur la place publique, vous pervertissez non seulement mes émotions de spectateur en les retournant contre moi, mais vous balayez également d’un revers de main ma capacité de réflexion. Tout comme vous le faites auprès des nombreux adeptes du film, dont l’engouement collectif ne peut être à vos yeux que le signe d’un appauvrissement intellectuel généralisé. En faisant cela, vous niez simplement le droit de chacun à aimer ce film. Et si j’en arrive là, c’est parce que votre dernier tweet a achevé de me faire bondir :

 

 

Il est interdit de ne pas aimer, vous insurgez-vous, pauvre victime qui, à l’instar de tous les provocateurs pris la main dans le sac des énormités, vous drapez dans l’étendard de la liberté d’expression pour esquiver le fond du problème. Ben voyons ! Non content de traiter d’attardés ceux qui ont l’audace d’aimer quelque chose qui ne vous sied pas, voilà que vous confondez le droit à s’exprimer avec le droit à s’exprimer sans être contredit. Mais rassurez-vous, M. le rédacteur en chef culturel du Figaro, comme tous ceux qui tombent des nues en lisant votre prose, je suppose que c’est moi qui n’ai rien compris.

2 réponses à “L’art de la critique, et vice versa”

  1. Marc

    Salut Benjamin.
    Honte à moi, je ne l’ai pas vu mais j’ai une excuse… je ne sors jamais ^_^ hahahahaha. C’est une bonne excuse ou non ? >_<
    J'ai vu quelques extraits du coup, merci pour l'info, et j'adore l'idée des persos dans le cerveau des protagonistes : ça me rappelle un peu "la vie", la grande série de dessin animé sur le corps humain… hein ? siiiiii ! écoute écoute :

    la vie, la vie, la vie, la vie, la vie, la vie, la vie, la vie
    et voici la vie
    la belle vie toute pressée d'éclore

    Ne m'oblige pas à tout "chanter" car je le veute et je le peute ! \o/
    bref.

    Je comprends ton exaspération vis-à-vis de la critique "gratuite" du gars là. Par contre, ne penses-tu pas être un peu trop "sensible" aux réactions d'autrui ? car j'ai l'impression que ça t'affecte. Tu veux en parler ? une petite séance de coaching peut-être ? ^_^

    Je vais me faire l'avocat du diable et tu l'as très bien dit toi-même sur son premier commentaire : il a le droit de penser ce qu'il veut du film même si son ouverture d'esprit est bien étroit par rapport à ce qu'on pourrait attendre de quelqu'un dans la "culture" et l'art.
    Quant à sa remarque sur "l'infantilisation", je trouve qu'il est poli et gentil parce que dans la réalité c'est un mot bien moins poétique qui correspond à ce que l'on fait à la "populasse" tu ne trouves pas ? d'ailleurs, tu le dis toi-même très bien quand tu parles (dans un autre contexte) de "moutons" :o)
    Pour le troisième échange de commentaires, il est vrai que pas mal de film d'animation ne sont pas accessibles aux enfants : c'est comme dire que le petit Prince est un livre pour enfant. Disons qu'au moins, un dessin animé, s'il est attrayant, peut divertir un enfant.
    De toute façon, un gamin de 5 ans ne comprendrait même pas 30% des mots qui sont dit dans le film et même pas réellement 5% des phrases :oD

    Tout ça pour en revenir à ce rédacteur en chef, il est assez clair qu'il parle de manière tranché (moi, j'aime bien), qu'il est relativement honnête (?) avec lui-même, qu'il a certainement mauvais goût mais il en faut, qu'il n'a certainement jamais été un vrai enfant (ce n'est pas pour rien qu'il est "chef")… mais toi, peux-tu nous dire en quoi réellement cela t'énerve que quelqu'un donne son avis ?
    Si j'ai compris, c'est parce qu'il donne son avis mais que compte-tenu de la position qu'il a, tu trouves ça vraiment déplacé ?

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    • Benjamin Gibeaux

      Merci Marc pour cette réaction, et merci de m’apporter la contradiction, ça me permet de préciser certaines choses à froid. Oui, c’est vrai que ce billet traduit une réaction à fleur de peau, mais c’est justement le sujet de ma réflexion : j’ai le sentiment que les tweets du gars, qui reflètent un mode de pensée sans doute assez partagé, consistent à nier le droit à l’émotion sous prétexte que l’on est devenu grand.

      Je pense qu’au contraire il faut réapprendre à être ému, à être humain, à casser les remparts que l’on se crée en grandissant, afin de revenir de temps en temps à l’essentiel. Or ce film démontre précisément que toutes nos émotions d’enfants continuent à grandir avec nous, elles évoluent mais sont toujours là. Ce film est très émouvant, il nous touche en tant qu’anciens enfants, en tant que nouveaux parents, d’une manière à la fois simple et subtile, ce qui est selon moi l’apanage des grands films.

      Or, je suis persuadé que l’émotion n’est absolument pas incompatible avec l’intellect. Je pense que l’un ne vaut rien sans l’autre, et devient même dangereux si on lui laisse le champ libre. Réagir sous le coup de l’émotion, sans prendre de recul, c’est dangereux. Analyser froidement et mathématiquement les choses, sans émotion, c’est dangereux également. Or, les propos du type opposent, en creux, une émotion soi-disant cantonnée à l’enfance et un intellect adulte incompatible avec cette émotion. En faisant cela, il prétend à la fois que les enfants sont des crétins, et que les adultes n’ont pas droit à l’émotion (et que ceux qui se laissent aller à ce genre de faiblesse sont des demeurés, donc). C’est non seulement inquiétant de la part d’un prétendu spécialiste culturel, mais surtout agaçant de se sentir obligé de choisir entre sa part d’enfance et sa vie d’adulte. Ce type, en écrivant son tweet lapidaire, me somme de renoncer à ce que je suis.

      Ce qui m’a fait bondir c’est ça. Qu’il donne son avis, c’est tout à son honneur, surtout quand celui-ci va à contre-courant. Mais qu’il décrète que ceux qui ne pensent pas comme lui sont des doux imbéciles, ça passe moins ! Et effectivement, c’est d’autant plus difficile à avaler compte tenu de sa position. En tant que rédacteur en chef culturel d’un grand journal, sa parole compte plus que celle des autres.

      Quant au mot « infantilisation », selon moi il s’agit d’une tendance qui va dans le sens de la ligne éditoriale de son journal, et qui consiste à penser que la société part en sucette, que c’était mieux avant, tout ça. Sauf que j’aurais plutôt mis ça sur le dos de la télé-réalité ou de Nadine Morano, au lieu de fustiger un film intelligent, émouvant, profond et nuancé 🙂

      J’espère avoir clarifié un peu mon propos, et merci encore de m’avoir donné cette opportunité.

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